La nuit du dimanche 01 à lundi 02 septembre 2024, a été cauchemardesque et tragique pour les pensionnaires du Centre Pénitentiaire et de Rééducation de Kinshasa (CPRK), appelé «Prison de Makala», à la suite d’une tentative d’évasion menée par un groupe des détenus.
D’après les témoins, le mouvement était parti du pavillon 4. Pour cause, l’obscurité dûe au manque de l’électricité, l’etouffement et la surpopulation. Celui-ci [mouvement] va s’étendre dans d’autres pavillons notamment 9, où les femmes détenues se verront honteusement violées en masse.
« Dimanche, la prison de Makala hébergeait 15 005 détenus. L’établissement était plongé dans l’obscurité en raison d’une panne d’électricité. Les troubles ont débuté dans le pavillon 4, où les prisonniers ont tenté de forcer la porte en raison de l’étouffement et de la surpopulation. Par contagion, d’autres pavillons ont également tenté de s’évader en forçant leurs portes. Les militaires chargés de la garde ont alors ouvert le feu sans sommation » avait indiqué un responsable de ce centre pénitentiaire à infosdirect.net.
Malheureusement, dans le soucis de rétablir l’ordre, un dérapage sera enregistré de la part des services de sécurité, qui vont commettre en pleine nuit le plus grand carnage et massacre jamais connu au sein d’une maison carcérale en République démocratique du Congo. Plus qu’un dérapage, les militaires commis a la garde de la prison ont tiré avec la volonté de donner la mort a des prisonniers désarmés, sans sommation et à bout portant.
Perchés aux miradors dressés en dehors de l’enceinte et à chaque coin de la clôture, ils se sont mis à tirer a loisir sur des prisonniers aveuglés par la nuit, il n’y avait pas du courant electrique – et en errance dans la cour, cherchant comment s’échapper. D’où le nombre élevé des tués par balles, évacués précipitamment avant que les premières lueurs de l’aube ne viennent éclairer le ciel de Makala. Aux morts par balles s’ajoutent ceux qui ont succombé dans les bousculades, morts étouffés dans les mouvements de foules dans des pavillons bondés.
Des chiffres douteux
La gestion des risques par les autorités de la République démocratique du Congo, étant un épineux problème, le Vice-Ministre de la justice qui s’est empressé pour se rendre sur le lieu des incidents, va révéler que seuls deux détenus étaient décédés suite aux bousculades. Quelques heures plus tard, Jaquemain Shabani, Vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur annoncera qu’aucun bilan n’était pas encore établi.
En urgence, la Première Ministre Judith Suminwa, va dans la soirée du même lundi, convoquer une reunion pour examiner la situation, et c’est à l’issue de cette rencontre que le bilan provisoire serait rendu public. 129 prisonniers décédés dont 26 par balles, 59 blessés et des femmes violées.
Ces chiffres ne concordent pas avec les témoignages des détenus et les récits des riverains, témoins des va-et-vient incessants des engins qui ont évacué les victimes de ce que certains appellent déjà opération «Effacer le tableau».
«135 corps ont été chargés à bord d’un camion benne de l’armée sans compter qu’avant eux, d’autres corps avaient déjà été évacués vers la morgue de l’hôpital Sanatorium (Sana) à Selembao», confirmait un chargeur des corps.
Dans le pavillon 4 où tout avait commencé, plus de 250 corps sans vie ont été comptabilisés. Ces derniers ont été mis dans «Kikalungu» ( camionnette de la police), pour une destination inconnue (peut-être vers l’hôpital), après deux tours de chargement.
La suspicion se cristallise autour du gouvernement pour avoir évacué les corps sans la moindre identification. Les differentes morgues qui les ont réceptionnés ont dû les enregistrer comme les dépouilles des indigents ramassés dans la rue. A enterrer donc sans s’en remettre à la famille. Une astuce bien imaginée pour empêcher de remonter à une contre-verification sur le nombre des morts. « L’attitude du gouvernement trahit une dissimulation du nombre des morts », déduit un activiste des droits de l’homme. Ce que rapporte la Fondation Bill Clinton pour la paix en dit long.
A cela s’ajoute le nombre des femmes violées au pavillon 9, estimées à plus de 200 sur 320 détenues.
«Nos sources nous renseignent que plus de 200 femmes sur 320 ont été violées par les Prisonniers et détenus préventifs.», renseigne la Fondation Bill Clinton pour la paix dans un communiqué.
Surpopulation de la prison
Au jour de ce que Kinshasa a appelé tentative d’évasion, la prison avait 15005 détenus, selon le monitoring réalisé par la Fondation Bill Clinton pour la paix (FBCP).
D’après cette organisation de défense des droits des prisonniers, l’effectif des détenus de Makala est aujourd’hui de 13009, sans mouvement d’entrée et de sortie des detenus depuis la.tragedie. Elle s’interroge sur le bilan de 129 morts présenté par le gouvernement, qui doit préciser où se trouvent les 1.767 autres.
«Nous constatons que le nombre des décès avancé par le Gouvernement Congolais est erroné si nous devons faire un calcul simple de 15005 détenus au jour du 1er septembre – 13 009 le 06/09/2024- 100 détenus transférés à la Prison Militaire de Ndolo et une soixantaine des blessés internes dans les hôpitaux donne une différence d’un nombre supérieur à 129 décès avancé par le Gouvernement. Raison pour laquelle, nous osons poser la question de savoir, où se trouvent les autres prisonniers après 2 Septembre 2024», écrit Emmanuel Adu Cole, Président de la FBCP.
Alors que le gouvernement parle de sabotage de la part des magistrats et des gestionnaires du CPRK, que le ministre de la justice a suspendu et instruit une information judiciaire à l’encontre du directeur de la prison de Makala, une alerte avait été déjà faite par Yusufu Maliki, Directeur Chef d’etablissement, le 09 octobre 2023, dans une correspondance adressée à la ministre de la Justice honoraire Rose Mutombo, sur la surpopulation et l’hébergement des prisonniers de manière indifférenciée, sans se soucier de séparer les petits délinquants de grands criminels. Il prévenait déjà sur les risques d’une violence. Demande jamais prise en compte et banalisée par les magistrats connus pour leur promptitude à envoyer en détention prévention des detenus même pour des faits benins, des faits pour lesquels les justiciables peuvent, à la limite, comparaître en prévenu libre.
Là où la Constitution du 18 février 2006 renforcé le principe général du Droit selon lequel « la liberté est la règle, la détention l’exception, le magistrat congolais arrête pour une simple dispute de famille tant que l’une des parties l’a intéressé. Dix mois se sont écoulés depuis l’alerte de Youssouf et donc la situation s’est empirée pour déboucher sur l’irréparable.
Par Steve WEMBI